18 août 2015

Tels des astres éteints - Léonora Miano

Tels des astres éteints est le troisième roman de Léonora Miano. Contrairement à ses deux premières œuvres qui se déroulent en Afrique, celle-ci se déroule au « Nord », sur une terre appelée  « intra-muros de la Grande Ville ». On devine aisément qu’il s’agit de Paris bien que la ville ne soit jamais explicitement nommée.

C’est là que vivent les trois personnages principaux :Amok, Shrapnel et Amandla. Pourtant, très vite, le lecteur réalise que ces derniers y sont comme des ombres voire des fantômes. Chacun est hanté, à sa manière, par le « Continent », «le Pays-Premier » ou encore « La Terre Primordiale » et tout ce qui s’y rapporte. Leurs âmes y sont suspendues. Ils ne peuvent vivre dans le présent, se détacher du continent et de l’histoire qui s’y rattache. Ils semblent en porter le poids sur leurs épaules, et ce d’autant plus que leur couleur noire les ramène sans cesse à cet ailleurs.

Amok est africain. Il est issu d’une famille nantie dont le patronyme pourrait lui ouvrir toutes les portes auxquelles il voudrait frapper au pays. Malgré cela, il a décidé de fuir et de s’exiler en Europe. Son pays est synonyme de blessure et de culpabilité car son nom le ramène sans cesse à son histoire familiale, à son grand-père qui a été un « traître » en collaborant avec les colons.  Malgré son exil volontaire, l’Europe n’est pas un refuge pour lui. Il ne se sent pas chez lui et ne souhaite pas s’y enraciner. Il se renferme alors sur lui-même. Il s’efface.

Shrapnel est le meilleur ami d’Amok. Ils se connaissent depuis le pays où ils ont grandi ensemble. Il est arrivé en Europe dans des conditions plus difficiles. Mais pour lui, ce voyage n’était pas une fuite en avant. Marqué par l’abattage de l’arbre centenaire de son village et le déplacement contraint de sa communauté, il souhaitait voir le Nord afin de comprendre sa puissance, ce qui lui a permis de dominer son continent et de faire basculer son équilibre. Contrairement à son meilleur ami, Shrapnel est animé par un rêve qui lui permet d’envisager un enracinement au Nord. Il se (sur)investit.

Amandla quant-à-elle, vient de Guyane. Elle n’a jamais mis les pieds en Afrique. Pourtant, élevée par une mère adepte du rastafarisme, son regard est tourné vers le Continent. L’Afrique est  la terre primordiale, sa terre promise. Le seul endroit où elle sera chez elle. En attendant, elle vivote en Occident et rêve d’une terre dont elle ignore les réalités ou qu’elle choisit de sublimer. Elle s’accroche à une Afrique mythique, « dépassée », dont elle prie les divinités. Elle attend patiemment de se lier à un homme du continent, avec lequel elle pourrait opérer un « retour » chez elle.




À travers ces trois personnages, l’auteure explore les différentes manières d’être noir ou « d’habiter cette carnation » (p190) lorsqu’on vit au Nord. Pour certains, elle définit entièrement l’identité, en devient l’unique composante et oriente toutes les actions. Pour d’autres au contraire, elle a peu d’impact sur la façon de se définir ou d’agir. Malgré leur position différente, chacun des personnages finit par se retrouver dans une impasse.

La position de chacun s’inscrit souvent dans la tradition de pensées d’un mouvement de la conscience noire. À travers l’examen de ces derniers, l’auteure interroge la place de l’Afrique dans l’imaginaire de sa diaspora. Afrocentricité, rastafarisme, panafricanisme, nationalisme noir sont presque étudiés pour relever leurs apports à l’histoire des noirs, ne serait-ce parce qu’ils ont permis de créer des rêves (des utopies aussi ?) et des échappatoires mentales. Toutefois, l’auteure s’attèle surtout à relever leurs contradictions, celles de leurs leaders et leurs limites. À chaque argument est présenté un contre argument. Les personnages y débattent et opposent leurs positions…

…Pourtant il n’y a aucun dialogue dans le roman. C’est une des choses qui m’a particulièrement frappée. Les personnages ne dialoguent pas. Ce sont leurs errements intellectuels, leurs pensées intimes qui sont juxtaposées et qui servent de réponses, arguments et contre-arguments. L’absence de dialogue permet de souligner leur chaos intérieur, leur enfermement dans leur position respective. Les premières pages du roman, notamment  dans le chapitre « Afro Blue » - première partie,  illustrent bien cette sensation d’enfermement, de repli sur soi. Les phrases sont travaillées et courtes. Le rythme est saccadé et donne une sensation de suffocation. Il traduit bien la situation d’Amok. La partie II du même chapitre, offre un rythme différent. On rentre dans la vie de Shrapnel, qui contrairement à Amok est plein de vitalité et d’enthousiasme pour le rêve qu’il poursuit. Le rythme est plus entrainant, moins sombre. C’est d’ailleurs lorsque j’ai abordé l’histoire de Shrapnel que j’ai réalisé que je n’avais pas aimé la première partie, sur Amok. Et j’ai compris pourquoi. Elle était difficile à lire en raison de ce qui y est raconté et du style employé par l’auteur. Dans la partie sur Shrapnel, l’étau semble se desserrer un peu pour finalement se resserrer quand vient la partie sur Amandla.

Malgré le style de l’auteur et la sensation de mal-être qu’il induit, j’ai beaucoup aimé Tels des astres éteints. Pour celles et ceux qui, comme moi, sont passionnés par les questions de la conscience noire, qui ont déjà flirté avec certains de ces mouvements et qui aiment les essais sur ces sujets, c’est un roman passionnant. Un roman qui a des allures d’essai. Mais, pour celles et ceux qui ne s’intéressent pas du tout à ces questions, la lecture peut sembler fastidieuse. En effet, le roman est émaillé d’importantes notes de bas de page, de références historiques, littéraires, ect. Elle fait également de nombreuses allusions à des personnages historiques ou contemporains qui ont fait l’histoire (noire) sans jamais les nommer. Enfin, il n’y a pas vraiment d’intrigue. Disons que l’histoire est un peu plate. Ce sont plutôt les idées qui y sont développées qui sont intéressantes.

C’est un livre soul/jazzy qui se présente comme un album musical, avec une intro, des titres (de chapitre) et une outro. La musique a une place importante tout au long de l’histoire. L’auteure évoque de nombreuses chansons et leurs compositeurs/interprêtes. De plus, certains personnages vivent avec la musique. Elle leur permet de réguler leur période difficile, de s’évader ou de pleurer.

J’ai particulièrement aimé la toute dernière partie intitulée Outro. Dans celle-ci, l’auteure nous éclaire finalement sur le propos articulé tout au long du livre. Elle donne sa position sur toutes ces questions et semble dire que tous ces mouvements ne constituent plus des réponses suffisantes ou adéquates pour appréhender les défis d’aujourd’hui. Il faut « digérer sa peine » et « trouver comment être ce peuple du milieu » (p370). Ces quelques pages m’ont beaucoup fait penser à l’idée de Renaissance historique appliquée à l’Afrique et qui donne le paradigme la Renaissance Africaine. Sauf que cette renaissance, qu’elle appelle « régénérescence » (p 371),  elle la recommande à l’échelle individuelle. Elle invite finalement chaque être à reprendre en main les ressorts de sa propre historicité (Cheikh Anta Diop). À ne plus se définir par rapport à l’extérieur, le regard du Nord et à ne plus se déterminer uniquement par la couleur.


Pocket


Merci à Mathieu pour ce cadeau

1 août 2015

La fille du roi araignée - Chibundu Onuzo

Après quelques mois d'absence en raison de la rédaction de mon mémoire de recherche, me revoilà!

Née en 1991, Chibundu Onuzonée en 1991 est aujourd’hui considérée comme une des auteures nigérianes les plus prometteuses. Elle entame, en effet, l’écriture de ce premier roman à 17 et devient en 2012, à 19 ans, la plus jeune auteure publiée par la maison d’édition Faber & Faber. Actuellement doctorante en histoire au King’s College, elle a récemment été classée parmi les vingt-cinq femmes les plus influentes d’Afrique par The Guardian. Ce roman a été sélectionné pour le prix Dylan Thomas.

La fille du roi araignée c’est l’histoire d’amour improbable entre Abike Johnson, fille d’un riche magnat nigérian et Runner G, un jeune vendeur ambulant qu’elle rencontre dans une rue de Lagos. Les deux jeunes que presque tout oppose, défient les codes et les préjugés de leur entourage pour vivre leur amour. Grâce à Runner G, Abike découvre un Lagos dont elle ignore tout : les quartiers malfamés, la nourriture de rue, ect. Malgré ses doutes quant à l’avenir de leur relation, le colporteur se dépasse afin de pouvoir entretenir la flamme. Un jour pourtant, une découverte bouleversante sur Abike et sa famille fera tout vaciller. Leur histoire d’amour prend soudain une tournure surprenante. Le roman se transforme alors en thriller. Runner G mène l’enquête. Certaines informations le pousseront à prendre une décision implacable.  




La première partie du roman se concentre sur leur histoire d’amour. Chacun des moments partagés est raconté en deux temps, d’abord selon la perspective d’Abike puis selon celle de Runner G. Cette partie m’a donc semblée très longue en raison des scènes redondantes.  La seconde partie est celle du thriller, avec quelques invraisemblances et faits presque prévisibles. Mais il faut se rappeler que l’auteure était très jeune au moment de la rédaction.  La fin de l’histoire, quant-à-elle m’a semblée un peu expédiée, ce que j'ai regretté car les toutes dernières pages étaient les plus intéressantes. Elles ont réussi à me surprendre et à m’arracher un sourire.
Il semble qu’au final Runner G ait lui aussi été pris dans la toile d’araignée.

Je n’ai pas du tout aimé le personnage d’Abike, une enfant gâtée, qui méprise son entourage et aime avoir le contrôle sur tout et sur tout le monde. En anglais on dirait que c’est une « control freak ». Je n’ai pas compris son jeu de la Frustration qui a donné lieu à une scène d’une violence inouïe dès le début du roman. J’ai apprécié Runner G, le seul personnage qui avait de la poigne et qui n’avait pas peur de lui tenir tête. Je me suis d’ailleurs demandé si ce n’était pas cela qui avait suscité autant d’intérêt de la part d’Abiké pour ce colporteur. « Il était différent » comme elle aimait le dire.

C’est un livre dont j’avais beaucoup entendu parler et qui m’a finalement quelque peu déçue. Je pense que la seule chose vraiment fantastique à son sujet est qu’il ait été écrit par une très très jeune femme. Je me rappelle qu’à mes 17 ans, j’avais bien d’autres soucis et ambitions.

Merci à Steve-Léo qui m'a offert ce livre !